Analyses Out-Law 10 min. de lecture
26 Jan 2021, 12:23 pm
Producteurs, investisseurs et banquiers doivent se tenir prêts face à une mesure susceptible de bouleverser l'économie de leurs contrats. La loi de finances pour 2021 prévoit en effet la baisse des subventions accordées à 800 gros producteurs d'énergie solaire.
Ces subventions sont aujourd’hui, pour le gouvernement, hors de proportion par rapport à la baisse des coûts d'investissement dans la filière. Les producteurs en tireraient un profit de l'ordre de plus de 20%. La réduction des aides devrait donc permettre à l'Etat de réaliser des économies estimées entre 350 et 400 millions d’euros par an.
Divers mécanismes juridiques existent pour remédier aux conséquences liées à la baisse des subventions et seront analysés dans cet article.
La baisse de ces subventions ne devrait pas pour autant impacter outre mesure la filière solaire qui reste un secteur porteur, comme cela a été réaffirmé lors du Colloque National Photovoltaïque du 19 janvier 2021 organisé par le Syndicat des Energies Renouvelables. En 2020, les installations solaires atteignaient une capacité installée de plus de 10 000 MW, soit environ 2,4% de la consommation électrique française. Avec un objectif affiché de porter à 32% la part des énergies renouvelables dans la consommation brute en France d'ici à 2030, la filière solaire conserve donc un rôle important à jouer dans le mix énergétique.
Le législateur en a tenu compte puisque le maintien de la rentabilité des installations et de la viabilité économique des producteurs est au cœur de la mesure de réduction tarifaire. Les économies réalisées par l'Etat seront également réinjectées sous forme d’aides aux énergies renouvelables.
Depuis la création de l'obligation d'achat en 2000, les distributeurs sont tenus d'acheter, grâce aux subventions de l'Etat, l'électricité produite par les producteurs d'énergies renouvelables qui en font la demande. Le tarif est fixé par arrêté ministériel.
Le tarif d'achat d'électricité a été régulièrement modifié entre 2006 et 2020, mais le droit au maintien des conventions légalement conclues a permis à chaque producteur de conserver le bénéfice du tarif en vigueur au moment de la conclusion de son contrat. La loi de finances pour 2021 du 29 décembre 2020 est venue remettre en cause ledit droit, mettant par la même à mal le principe de sécurité juridique. Néanmoins, cette loi a été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil Constitutionnel.
L’article 225 de la loi de finances pour 2021 prévoit la réduction du tarif d’achat d’électricité produite par les installations photovoltaïques ou thermodynamiques d'une puissance crête supérieure à 250 kilowatts. Seuls les contrats d'achat en cours conclus entre 2006 et 2010 sont concernés.
Le nouveau tarif et sa date de prise d'effet seront fixés par arrêté des Ministres chargés de l'énergie et du budget après avis de la Commission de régulation de l'énergie.
Le calcul du nouveau tarif devra constituer une « rémunération raisonnable » par rapport aux risques inhérents à l'exploitation des installations. Le texte ne précise pas les critères d'appréciation du caractère raisonnable de la rémunération, mais indique qu'un décret du Conseil d'Etat en précisera les modalités d'application.
Le législateur a institué une procédure qui permet aux producteurs de bénéficier, sur demande motivée, d'un tarif aménagé ou de l'allongement de la durée de leur contrat dans le cas où une application stricte de la révision tarifaire pourrait compromettre leur viabilité économique.
Le texte ne précise pas quels seront les documents à produire à l'appui de cette « demande motivée », mais indique que le critère d'appréciation sera la protection de la viabilité économique des producteurs. Là encore, le décret d'application très attendu du Conseil d'Etat devrait apporter des précisions sur ce point.
Le Conseil Constitutionnel a été saisi de la loi de finances pour 2021 afin qu'il se prononce notamment sur l'article 225 incriminé comme portant atteinte entre autres, au droit au maintien des conventions légalement conclues.
Dans sa décision du 28 décembre 2020, le Conseil Constitutionnel écarte les griefs fait à l'article 225, considérant notamment que la volonté du législateur de remédier aux effets d'aubaine dont bénéficient certains producteurs au détriment du bon usage des deniers publics et des intérêts financiers de l'Etat constitue un motif d'intérêt général. Les Sages relèvent que dès lors que la mesure attaquée ne porte pas une atteinte disproportionnée à la liberté contractuelle, elle n'est pas contraire à la Constitution.
Le fait que l'Etat revienne sur des tarifs consentis par arrêtés ministériels il y a plus de 10 ans pourrait à certains égards impacter la confiance des développeurs, investisseurs et prêteurs dans les futurs projets photovoltaïques en France.
Nombreux sont ceux qui anticipent des contentieux administratifs et commerciaux liés à la mise en œuvre de la réduction tarifaire. Mais, le législateur a fait du maintien de la rentabilité des installations et de la viabilité économique des producteurs, la clef de voûte de la mesure de réduction tarifaire.
La loi de finances pour 2021 prévoit que le nouveau tarif sera calculé de manière à assurer une « rémunération raisonnable des capitaux, compte tenu des risques inhérents à son exploitation ». Cette disposition a fait débat puisque le terme « rémunération raisonnable », n'est pas défini par la loi et peut être sujet à interprétation. Le législateur a cependant prévu des garde-fous contre une baisse excessive des tarifs d'achat d'électricité et une fixation arbitraire du nouveau tarif.
Le texte précise que le nouveau tarif sera calculé en tenant compte de l'arrêté tarifaire concerné, des caractéristiques techniques, de la localisation, de la date de mise en service et des conditions de fonctionnement de l'installation et soumis à la Commission de Régulation de l'Energie pour avis ; avis qui sera rendu public.
La loi a introduit une procédure dérogatoirequi permet aux producteurs de solliciter un tarif aménagé ou un allongement de la durée de leur contrat dans l'hypothèse où une application stricte de la révision tarifaire pourrait compromettre leur viabilité économique.
Cette procédure mise en œuvre sur demande motivé pose certes des questions encore en suspens à ce stade, mais constitue une mesure de sauvegarde en faveur des producteurs. Les demandes devraient donc être étudiées au cas par cas, pour permettre à l'administration d'apprécier la situation individuelle de chaque producteur.
La loi de finances pour 2021 en ce qu'elle modifie les tarifs d'achat d'électricité consentis par l'administration à ses cocontractants constitue un fait du prince. Il s'agit une théorie jurisprudentielle de droit administratif selon laquelle, lorsque les mesures prises par l'administration rendent directement ou indirectement l'exécution du contrat plus onéreuse pour son cocontractant, ce dernier a droit à l'indemnisation intégrale de son préjudice.
Le fait du prince est à appréhender avec précaution car il fait l'objet d'une jurisprudence abondante, mais il pourrait être l'un des arguments avancés par les producteurs à l'encontre de l'Etat pour obtenir réparation du préjudice subi du fait de la réduction a posteriori du tarif initialement fixé dans leur contrat d'achat d'électricité.
Le cocontractant de l'administration pourrait demander à être indemnisé pour la perte qu'il subit du fait des achats qu'il a pu faire ou des investissements qu'il a réalisés. La réparation du gain manqué pourrait même être envisagée, sous réserve de démontrer que la nouvelle mesure a entraîné la perte d'un bénéfice qui apparaissait certain.
Au-delà de l'impact sur les contrats d'achat d'électricité, la réduction tarifaire aura également un impact sur les contrats de financement des parcs solaires.
Le financement de projets d’énergies renouvelables comme les installations photovoltaïques repose à la fois sur l’investissement en fonds propres des sponsors de l’opération et la dette sans recours.
Le financement sans recours implique que les prêteurs ne peuvent pas se retourner vers le sponsor du projet en cas de cash-flows moindres que prévu. La performance du projet est donc essentielle pour assurer le remboursement de la dette et une rémunération acceptable des fonds propres de l’actionnaire. Dans le cadre d’un projet photovoltaïque, les flux de trésorerie sont générés par le tarif de vente d’électricité fixé dans les contrats d’achat d’électricité (PPA – Power Purchase Agreement).
La baisse du tarif d’achat d’électricité votée par le Parlement affectera nécessairement la rémunération des installations et/ou la capacité des producteurs à rembourser leurs échéances calculées en fonction du tarif d’achat d’électricité, et pourrait donc constituer pour certains projets un effet significatif défavorable sur l’exploitation de la centrale, leurs actifs ou leur situation financière.
La plupart des contrats de financement prévoient une clause dite d’ « effet significatif défavorable » (MAE - Material Adverse Effect ou MAC - Material Adverse Change) qui permet au prêteur en fonction de leur rédaction (i) de suspendre pour l’avenir son financement, (ii) d’annuler ses engagements, ou encore (iii) de demander le remboursement anticipé du prêt.
En général, cette clause vise dans sa version proposée par la Loan Market Association, la survenance d’un fait ou d’un événement (quelle que soit sa nature, cause ou son origine) qui affecte (ou est susceptible d’affecter) immédiatement ou à terme, de façon défavorable et significative la capacité de l’emprunteur à satisfaire ses engagements ou obligations au titre du contrat de crédit.
Même si, pour certains producteurs, l’impact de la réduction tarifaire pourra être contrebalancée avec la procédure dérogatoire (dite « mesure de sauvegarde ») permettant aux producteurs de solliciter un tarif aménagé ou un allongement de la durée de leur contrat d’achat, et/ou atténué par l’injection de nouvelles subventions dans les énergies renouvelables, il est important pour tous les producteurs de réaliser un audit juridique de tous leurs contrats de financement, afin d’identifier l’existence de telles clauses et d’analyser leur possible impact sur la pérennité de leurs financements.
Cet audit permettra également aux emprunteurs de déterminer les clauses qui pourraient remédier aux conséquences de la réduction tarifaire.
En raison de l’évolution réglementaire de la filière des énergies renouvelables ces dernières années, avec notamment la sortie de l’obligation d’achat de l’électricité à un tarif garanti vers un mécanisme de complément de rémunération, les prêteurs ont été obligés de s’adapter. Ils ont donc modifié en conséquence la documentation de financement pour parer à toute évolution des prix du marché de l’électricité et des évolutions techniques pouvant influencer ce marché, en y insérant certains des mécanismes décrits ci-après.
Les prêteurs sont davantage préparés à l’éventualité d’un changement dans la situation financière de l’emprunteur pendant la durée du prêt. Ils savent aussi que cela peut amener l'emprunteur à vouloir modifier les termes du contrat de crédit. Pour cette raison, figure toujours une clause « amendements et waivers » dans les contrats de créditpar laquelle les parties s’engagent à négocier les nouveaux termes du contrat dans un avenant afin de refléter un changement de situation affectant l’emprunteur.
Dès lors, dans le cas où la baisse de tarif viendrait considérablement dégrader la situation financière de l’exploitation et donc la capacité de remboursement de l’emprunteur, celui-ci pourrait alors demander aux prêteurs un rééchelonnement de la dette via un avenant au contrat de crédit. L’emprunteur pourra également présenter une demande de renonciation (waiver) aux prêteurs afin d’anticiper un défaut ou retard de paiement du principal et/ou des intérêts, et ainsi éviter le cas de défaut au titre du contrat de crédit.
Le risque d’un changement de loi et/ou de règlement est un risque quasiment inévitable étant donné la durée des contrats dans le cadre de financement de projet. Ces clauses permettent d’anticiper les conséquences d’une potentielle évolution de la réglementation de la filière solaire. Elles traitent des risques liés aux nouvelles législations qui viendraient à entrer en vigueur après le démarrage du projet et à changer les conditions de production et d’exploitation des installations photovoltaïques.
Plus rares, les clauses de différé de remboursement donnent la possibilité aux emprunteurs de suspendre leurs remboursements pendant quelques mois (généralement, 3 à 6 mois) sous réserve de conditions spécifiques. Ces clauses ont une durée limitée. Elles pourraient être activées en amont de la procédure dérogatoire prévue par l'article 225 de la loi de finances pour 2021 (par laquelle un producteur peut solliciter un tarif aménagé ou une extension du contrat d’achat), ou postérieurement suivant l'issue de la renégociation du contrat de prêt avec les banques.
Si les clauses de différé de remboursement n’ont pas été intégrées au contrat de financement, les prêteurs et les promoteurs de projet pourraient envisager de conclure un standstill agreement (moratoire de crédits). Cet accord pourrait permettre au débiteur de bénéficier, sous certaines conditions afférentes à la procédure dérogatoire décrite ci-dessus, d'un report des remboursements de prêt pour une durée à définir entre les parties au contrat de crédit, et donc de préserver la trésorerie des emprunteurs.
Ces derniers pourront également mettre en œuvre les clauses de modulation des échéances, qui permettent en cas de cash-flows moindres de diminuer le montant des échéances. Néanmoins, ces clauses ne peuvent être actionnées que de manière limitée et ponctuelle et à l’instar des clauses de différé de remboursement.
Afin d’adapter le contrat aux évolutions du contexte du projet, certains contrats de crédit stipulent également des clauses dites de « rendez-vous » ou de « rencontre ». Ces clauses engagent les parties à apporter de la souplesse à l’application du contrat et de décider, le cas échéant, d’engager des renégociations pour une poursuite éventuelle de leur relation. Les emprunteurs impactés par l’article 225 de la loi de finances pour 2021 pourront donc mettre en œuvre ces clauses de rencontre dans l’espoir de voir établi un nouvel équilibre contractuel.
Enfin, les établissements prêteurs pourront demander aux producteurs de leur fournir une garantie maison mère (PCG - Parent Company Guarantee). Proche du schéma de la caution solidaire ou de la garantie à première demande selon les cas, la garantie maison mère est une garantie permettant d’obtenir l’engagement de la société maison mère/sponsor de la société de projet d’honorer les engagements de sa filiale si celle-ci venait à faire défaut. La PCG pourrait par exemple être mise en place pour une durée déterminée entre la date à laquelle le producteur aura demandé à bénéficier de la procédure dérogatoire et la date à laquelle il aura obtenu la décision de l’administration sur sa demande de tarif aménagé ou d’extension de la durée de son contrat d’achat d’électricité.
Pour l’avenir, les producteurs/emprunteurs devront porter une attention toute particulière à la rédaction des clauses d’effet significatif défavorable, et également veiller à l’insertion dans les contrats de financement des modalités de gestion des risques liés à un changement législatif et/ou réglementaire, dont les mécanismes juridiques visés ci-dessus, qui permettront de rétablir un équilibre contractuel entre emprunteurs et prêteurs.
Co-écrit par Dominique Nkoyok, Collaboratrice