Alors que la numérisation et la mondialisation redéfinissent à jamais le paysage mondial des affaires, le rôle des directeurs juridiques doit également évoluer. Mais que doivent faire les directeurs juridiques d’aujourd’hui pour être sûrs d’être pertinents demain ?
Le métier de directeur juridique est tout sauf simple. Leur charge de travail s’est en effet beaucoup alourdie au cours des dix dernières années, suite à une augmentation des réglementations, une pression continue les forçant à réduire les frais juridiques, et la nécessité d’adopter de nouveaux processus et de nouvelles technologies.
Assimiler toutes les compétences requises pour effectuer efficacement toutes les tâches d’un directeur juridique n’est pas une mince affaire. Selon le Corporate Legal Operations Consortium (CLOC), un réseau professionnel de cabinets juridiques, 12 fonctions sont nécessaires pour fournir des services juridiques de manière « optimale ». Ces fonctions comprennent de bonnes compétences en matière d’analyse de données, de soutien technique et de prestation de services, et de modèles de soutien alternatifs.
Ces spécialités, pratiquement inexistantes lorsque les directeurs juridiques actuellement en poste ont démarré leur carrière, sont désormais essentielles.
Contrairement aux métiers juridiques qui évoluent très lentement, les directeurs juridiques doivent acquérir rapidement de nouvelles compétences pour répondre à de nouvelles attentes et respecter de nouveaux budgets.
L’un des changements les plus importants au cours des dix dernières années est probablement l’abandon du paradigme qui concevait le directeur juridique à la fois comme un expert et un médiateur.
« Les avocats qui font les gros titres de la presse sont ceux qui s’attaquent au dragon », explique Bruce MacEwen, fondateur de Adam Smith Esq, un cabinet de conseils. Selon lui, beaucoup d’avocats sont toujours très réactifs et sont financièrement récompensés pour leur qualité. Mais depuis l’intensification des réglementations et de la législation motivées par la crise financière, la conformité et les mesures de prévention sont devenues des enjeux prioritaires pour les entreprises.
Or, ces aspects ne font pas forcément partie des qualifications d’un avocat. « Savez-vous quelle université enseigne le droit préventif ? » demande George Beaton, fondateur du cabinet de conseil Beaton Global. « Aucune ! »
Aujourd’hui, les effectifs des cabinets juridiques ont augmenté, leurs mandats ont évolué et les directeurs juridiques sont désormais censés être les gardiens d’une fonction favorisant efficacement l’épanouissement de l’entreprise.
Indépendamment de l’importance et de l’influence croissantes des fonctions juridiques, les PDG et directeurs financiers continuent à douter de la valeur que créent les services juridiques.
Beaucoup de directeurs juridiques qui cherchent à faire des économies ont déjà exploité toutes leurs opportunités immédiates. La consolidation des panels, l’élimination des arrangements « hors panel » et le développement des équipes internes ont déjà porté leurs fruits.
Pourtant, 60 % des entreprises continuent à présenter des budgets inefficaces selon l’étude annuelle d’Acritas intitulée « SharpLegal ». Cette enquête basée sur 2 000 entretiens menés avec des avocats du monde entier suggère que les directeurs juridiques devraient attribuer pas moins de 40 % de frais juridiques à la fonction légale interne de l’entreprise, et qu’au-delà de 70 %, l’efficacité est réduite.
Dans le cas de fonctions juridiques matures, le rôle du directeur juridique englobe de plus en plus la productivité opérationnelle.
George Beaton compare la situation à celle des pionniers du secteur automobile du XXe siècle. Selon lui, les directeurs juridiques d’aujourd’hui devraient se familiariser avec tous les principaux éléments de la gestion opérationnelle, comme le firent les innovateurs automobiles du siècle dernier lorsqu’ils ont révolutionné les méthodes de production de l’époque.
Une bonne compréhension des processus qui sous-tendent les services juridiques est en effet essentielle pour améliorer l’efficacité et optimiser la fiabilité du produit final.
Bruce MacEwen, fondateur du cabinet de conseils Adam Smith Esq, convient que les directeurs juridiques découvrent souvent que l’externalisation des tâches juridiques s’avère plus économique, surtout lorsque ce travail implique des compétences que leur cabinet ne possède pas.
La bonne nouvelle pour les directeurs juridiques, c’est qu’un choix beaucoup plus large s’offre désormais à eux. Les modèles de ressources hybrides évoluent et englobent un ensemble plus nuancé de ressources internes permanentes, de ressources juridiques sous contrats flexibles, et de ressources externalisées dans des cabinets juridiques privés. Ils peuvent également faire appel à de nouvelles entités juridiques, à des fournisseurs techniques, à des sociétés d’externalisation de processus juridiques, et bien plus encore.
Dans cette optique, les directeurs juridiques doivent assumer un rôle d’architecte pour identifier le modèle le plus adapté à leur société. Ils doivent aussi intégrer de nouvelles compétences et spécialités hors de la sphère juridique.
Michele DeStefano est professeur de droit à l’Université de Miami. Elle est aussi la fondatrice de LawWithoutWalls, un organisme qui aide les étudiants en droit à acquérir les compétences nécessaires pour réussir dans le monde du droit d’aujourd’hui.
Selon elle, les directeurs juridiques vont devoir être encore plus polyvalents à l’avenir. Ils devront posséder de multiples qualifications comme des licences en droit et en économie, et une expérience plus variée au sein d’entreprises pour maîtriser les compétences requises pour innover et gérer les risques.
Ils devront plus particulièrement développer leurs compétences en gestion de projet et leurs qualités de leadership, tout en possédant de vastes connaissances économiques et technologiques.
M. MacEwen partage ce sentiment. Face à l’augmentation des diverses ressources permettant de proposer des services juridiques, il s’attend à ce que davantage de non-juristes interviennent dans le domaine juridique. « Je pense que les directeurs juridiques d’aujourd’hui ont le mérite de reconnaître leurs lacunes et de faire appel à des experts pour combler ces dernières », explique M. Beaton. Selon lui, l’intervention de non-juristes compétents, de consultants et de personnel techniques peut considérablement améliorer la valeur des équipes juridiques internes.
M. MacEwen estime toutefois qu’il est impératif que ces experts soient traités sur le même pied d’égalité, sans établir de division entre les avocats et les non-juristes. Selon lui, il existerait de nombreux exemples de cabinets juridiques et de nouvelles entités juridiques dont les aspects techniques et logistiques seraient efficacement confiés à des non-juristes. Il convient toutefois de noter que la mise en œuvre de ce type de changement n’est pas simple et qu’elle exige des perspectives plus vastes.
Michele DeStefano, fondatrice de LawWithoutWalls suggère que la relation qui existe entre les directeurs juridiques et leurs conseillers juridiques externes va également devoir évoluer, et que les conseillers joueront plutôt un rôle de consigliere dans leurs échanges avec les clients.
Selon M. Beaton, la relation à distance traditionnelle qui consiste à communiquer par le biais de mémo, lettres, demandes de clarifications et lettres d’engagement est trop rigide et stérile.
Si de nombreux directeurs juridiques ont réduit le nombre de cabinets juridiques présents dans leurs panels afin de mieux tirer parti de leur pouvoir d’achat, peu d’entre eux ont tenté d’encourager une meilleure collaboration et un partage des connaissances avec le cercle de conseillers à qui ils font confiance.
Ce cercle, qui englobe du personnel interne et externe, pourrait offrir bien plus qu’un simple point de vue du marché sur des questions spécifiques, ou des conseils contextualisés. Il pourrait aussi présenter, recommander et repérer de nouveaux outils et de nouvelles ressources pour améliorer les modèles de livraison.
Alastair Morrison, responsable de la Stratégie client chez Pinsent Masons, estime que les directeurs juridiques et leurs confrères des cabinets privés n’ont pas simplement l’opportunité, mais aussi le devoir de le faire. Jusqu’à présent, les avocats intervenaient généralement dans des cas d’urgence pour proposer leurs services, mais l’arrivée de nouvelles technologies et de nouvelles pratiques de travail leur offre la possibilité de construire une barrière le long de la falaise, plutôt que de devoir aller secourir les blessés en contre-bas.
Selon M. Morrison, « un directeur juridique possédant un ensemble de compétences diversifiées et de bonnes connaissances de l’entreprise, de ses opérations et de ses processus fondamentaux sera parfaitement positionné être l’un des fers de lance de cette révolution ».