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Hydrogène vert : accélération des investissements en France et en Europe


Les opportunités pour développer la filière de l'hydrogène vert ne manquent pas pour les entreprises des secteurs de l’énergie et des infrastructures comme le démontrent les dernières annonces de grands groupes français qui comptent investir plusieurs centaines de millions d’euros dans des projets hydrogènes en France.

La baisse rapide du coût des énergies renouvelables, les développements technologiques et l'urgence climatique ouvrent de nouvelles possibilités pour l’hydrogène propre. Il est présenté par beaucoup comme l’énergie verte de demain et apparaît comme un élément déterminant dans les discussions sur la transition énergétique.

Qu'est-ce que l'hydrogène vert ?

L’hydrogène vert est produit par l’électrolyse de l’eau qui permet de décomposer l’eau en dioxygène et dihydrogène grâce à un courant électrique. Pour la production d’hydrogène vert, l’électricité utilisée est exclusivement d’origine renouvelable, c’est-à-dire produite uniquement par des installations éoliennes, solaires, hydrauliques ou encore à biomasse dont l’empreinte carbone est nulle. Pour cette raison, l’hydrogène est dit « propre ».

La production d'hydrogène renouvelable contribue également à réguler le réseau électrique, transformant en hydrogène propre le surplus d’énergies renouvelables non consommé par le réseau.

Cet excédent d’électricité transformé en hydrogène peut ensuite être stocké dans des piles à combustible et réintroduit comme source d'énergie pour les entreprises, les ménages ainsi que les collectivités. En France, par exemple, la ville de Pau a inauguré des bus à hydrogène, les Fébus, qui puisent leur énergie dans des piles à combustible. Pour ce faire, la capitale béarnaise a investi et construit la toute première station de production d’hydrogène au monde permettant aux Fébus de se recharger la nuit et de disposer chacun de 200 km d’autonomie sans rejeter la moindre émission carbone. La ville de Lyon a, elle aussi, décidé d’investir dans deux bus à hydrogène, qui seront mis en service d’ici le second semestre 2021, dans le cadre de la transformation globale des lignes de bus de la municipalité.

La course à l’hydrogène vert est lancée

Preuve s’il en est que le marché de l’hydrogène vert a le vent en poupe, et notamment dans le secteur des transports, le constructeur automobile français Renault a annoncé le 12 janvier 2021 avoir signé avec la société américaine Plug Power, pionnière dans la fourniture de solutions de pile à hydrogène un accord visant à la création d’une coentreprise (joint venture) à parts égales implantée en France. Cette coentreprise sera opérationnelle d’ici la fin du premier semestre 2021, et débutera « la commercialisation de véhicules utilitaires légers à piles combustibles à travers le déploiement de flottes pilotes en Europe courant 2021 ». Avec cette société, Renault a pour ambition d’atteindre une part de plus de 30% du marché des véhicules utilitaires légers à hydrogène en Europe.

"Le partenariat proposera une offre de services unique sur le marché : des solutions complètes et clés en main, comprenant à la fois la fourniture de véhicules à hydrogène, des stations de recharge, du ravitaillement en carburant, ainsi que des services adaptés à ces nouveaux besoins", a encore indiqué Renault dans son communiqué.

Quelques heures après l’annonce de la marque au losange, deux autres fleurons de l’industrie française, Total et ENGIE, ont annoncé leur partenariat dans le cadre du projet Masshylia, le plus grand site de production d’hydrogène propre au monde, localisé dans les Bouches-du-Rhône. Implanté sur le site pétrolier de La Mède, le développement et la construction du projet Masshylia représenterait un investissement de plus de 100 millions d’euros.

Les deux partenaires visent un début de construction des installations en 2022, à l'issue de l’étude d’ingénierie avancée, en vue d’une production en 2024, sous réserve de la mise en place des soutiens financiers et autorisations publiques nécessaires. A cette fin, le projet a déjà déposé des demandes de subventions auprès des autorités françaises et européennes.

Les industriels français font donc le pari de l’hydrogène vert sur le long terme, et ce malgré un cadre légal et réglementaire qui est amené à changer à mesure que le marché se développera.

L’hydrogène vert, un enjeu national

Alors que la France, pionnière dans le nucléaire civil, se classe au deuxième rang mondial en termes de production d’électricité nucléaire et en a fait la pierre angulaire de sa stratégie énergétique ces soixante dernières années, les difficultés de la filière (notamment le retard de la mise en service des centrales EPR) et les résistances rencontrées auprès des Français et des militant écologistes ont, semble-t-il, poussé le gouvernement actuel à réviser cette stratégie en se concentrant sur les énergies renouvelables, et plus particulièrement le gaz renouvelable.

La France a été parmi les premiers pays à identifier le potentiel de l’hydrogène notamment dans la réduction des gaz à effet de serre. En 2018, Nicolas Hulot, alors ministre de la Transition écologique, avait présenté le plan hydrogène de la France, doté d’une enveloppe de 100 millions d’euros, devant les acteurs de la filière et des industriels français. Depuis, la France a massivement investi dans l’hydrogène pour développer un marché stratégique aux nombreux enjeux écologiques, économiques et technologiques.

Le gouvernement, par l’intermédiaire de l’Agence de la Transition Ecologique (ADEME) et de la Banque des Territoires, a également contribué en partenariat avec des acteurs privés au lancement d’un fonds entièrement dédié à l’investissement dans le secteur du gaz renouvelable avec 210 millions d’euros d’engagements, Eiffel Gaz Vert. Ce fonds a été conçu pour accélérer le développement de la filière du gaz renouvelable en soutenant les porteurs de ces nouveaux projets. Le 19 janvier 2021, Eiffel Gaz Vert a communiqué sur sa participation au consortium formé pour financer une nouvelle flotte parisienne de taxis hydrogènes et de deux stations de recharge, dont une Porte de Saint-Cloud.

Le soutien apporté par l’Etat à la filière ne s’est pas démenti puisque le gouvernement a annoncé le 4 septembre 2020 dans son plan de relance un investissement supplémentaire de 2 milliards d’euros dédié exclusivement au développement de la filière propre de l’hydrogène.

Le ministre de l’Economie et de la Relance, Bruno Le Maire a présenté le 9 septembre 2020 la stratégie nationale pour le développement de l’hydrogène décarboné devant l’association française pour l’hydrogène et les piles à combustible (AFHYPAC) et l’ensemble des acteurs de la filière. La production d’hydrogène propre a été érigée en axe prioritaire d’investissement en raison notamment des objectifs de souveraineté énergétique et d’indépendance technologique.

La stratégie française s’inscrit d'ailleurs dans une logique européenne puisqu’une partie des fonds pour le développement de la filière hydrogène renouvelable participera au projet commun européen pour l’entrée du vieux continent dans la neutralité carbone.

Une stratégie hydrogène vert pour une Europe climatiquement neutre

En Europe, une première impulsion a été donnée au secteur de l'hydrogène renouvelable avec le « Pacte Vert » européen (Green Deal), une feuille de route ayant pour objectif de faire de l'Europe le premier continent climatiquement neutre d'ici à 2050 tout en garantissant une transition juste et inclusive pour tous.

La Commission européenne a dévoilé le 8 juillet dernier sa stratégie, intitulée « Une stratégie hydrogène pour une Europe climatiquement neutre ».

Cette stratégie a un double objectif : d’une part, encourager la production d’hydrogène « propre » à partir d’électricité d’origine renouvelable (en particulier via le solaire et l’éolien) et, d'autre part, faire de cet hydrogène propre une solution viable pour décarboner différents secteurs de l’économie européenne, conformément aux objectifs de l’Accord de Paris sur le climat de 2015 et à l’objectif de neutralité climatique de l’Union Européenne à l’horizon 2050.

Parmi les mesures envisagées par la Commission européenne dans le cadre de cette stratégie figurent la mise en place de nouvelles incitations financières à l’investissement dans le secteur de l’hydrogène renouvelable et le déploiement d’infrastructures de production et de recharge pour relier l'offre et la demande d'hydrogène vert.

Par ailleurs, des mesures ont d’ores et déjà été prises par certains Etats afin de développer le marché de l'hydrogène. Par exemple, l'Allemagne et l'Australie ont mis à l’étude l’exploitation d’une nouvelle chaîne d'approvisionnement en hydrogène entre les deux pays, tandis que le gouvernement britannique a dévoilé en décembre dernier son très attendu « Livre Blanc » sur l'énergie, qui fait la part belle à l'hydrogène renouvelable dans la stratégie environnementale du pays visant à décarboner le système énergétique britannique.

L’hydrogène soumis à une réglementation stricte

En raison de la nature explosive et inflammable de l’hydrogène, sa production, son stockage et son transport sont soumis à des exigences réglementaires strictes aussi bien en droit français que dans celui de l’Union Européenne.

En France, l'hydrogène est soumis à la réglementation des Installations Classées pour la Protection de l’Environnement (ICPE), qui s'applique à toute exploitation industrielle ou agricole susceptible de créer des risques ou encore de provoquer des pollutions ou nuisances, notamment pour la sécurité et la santé des riverains. La procédure d'autorisation de production d'hydrogène implique la préparation d'une étude d'impact environnemental et d’évaluation des risques, ainsi que la démonstration des compétences techniques et financières du maître d'ouvrage dans la construction et l’exploitation des installations. Une procédure de déclaration et d'autorisation est également prévue pour le stockage et l’utilisation de l’hydrogène, en fonction de la quantité présente sur le site.

En plus des autorisations et autres déclarations françaises issues de la réglementation ICPE, le règlement (UE) n°1272/2008 (ou règlement CLP) relatif à la classification, à l’étiquetage et à l’emballage des substances chimiques et des mélanges et la directive 2012/18/UE (ou SEVESO III) relative à la prévention des accidents majeurs impliquant des substances dangereuses, établissent des obligations additionnelles afin d’assurer de façon cohérente et efficace dans toute l’Union un niveau de protection élevé. Cette directive oblige notamment les exploitants des installations hautement dangereuses de disposer d’une politique de prévention des accidents majeurs et de veiller à sa bonne application, de présenter aux autorités compétentes des Etats membres un rapport de sécurité et un plan d’urgence pour les mesures à prendre, en particulier en matière de protection de la santé publique et de l'environnement.

D'autres législations européennes sont applicables au transport d'hydrogène, notamment l'Accord européen relatif au transport international des marchandises dangereuses par route (ADR). Aux législations française et européenne viennent s’ajouter un certain nombre d’accords et de traités internationaux.

L’élaboration des contrats d’ingénierie, d’approvisionnement et de construction

(Engineering Procurement and Construction (EPC) contracts)

Outre un cadre législatif et réglementaire strict, les projets hydrogènes sont également soumis à un cadre contractuel complexe. A l’instar des projets dans le secteur des énergies renouvelables ou des infrastructures et équipements, ce cadre comprendra généralement un pacte d'actionnaires avec les investisseurs financiers, ainsi que des documents de financement et une éventuelle subvention gouvernementale. Dans un projet hydrogène, l’implication d’un bureau d’études/de consultants spécialisés pour la conception et les aspects techniques est également usuel.

Au cœur d’un projet hydrogène, on retrouve la société de projet (maître d’ouvrage) qui bénéficiera des accords de financement et autour de laquelle se mettra en place la structure contractuelle du projet avec le maître d’œuvre et les sous-traitants. Cette société de projet délèguera la responsabilité des tâches techniques du projet à ses sous-traitants et s’assurera de la bonne circulation des flux financiers entre les différents cocontractants. Dans le schéma contractuel de répartition des risques et des responsabilités, les contrats d'ingénierie, d'approvisionnement et de construction (Engineering Procurement and Construction (EPC) contracts, en anglais) jouent un rôle crucial.

Les dispositions relatives à la sécurité de l’installation seront un élément essentiel des contrats EPC. La société de projet, le maître d’œuvre et les sous-traitants seront généralement obligés de travailler en étroite collaboration afin d’établir et veiller à l’application des mesures de sécurité et de protection de la santé des travailleurs et des riverains pour faire face aux risques d'explosion, d'incendie et de fuite. Il reviendra également aux contractants de s’assurer du respect des obligations réglementaires telles que la préparation de l’étude d’impact et/ou l’élaboration du plan de sécurité au titre des régimes ICPE et SEVESCO III.

Les contrats EPC imposent également aux sous-traitants de gérer les risques liés aux interactions avec les différents intervenants sur une même partie du projet au titre de contrats de maintenance ou d’exploitation des installations.

Dans le cadre de projets hydrogènes, des clauses de changement de loi doivent impérativement figurer dans les contrats EPC pour anticiper les conséquences de la probable évolution de la réglementation dans les années à venir. Elles ont pour objet de traiter les risques liés aux nouvelles législations qui viendraient à entrer en vigueur après le démarrage du projet et changer les conditions de production, de stockage et d'utilisation d'hydrogène vert, ce qui aurait un impact sur le calendrier et le coût du projet.

A l’image de la pratique dans le secteur des énergies renouvelables, telles que l’éolien ou le solaire, les contrats EPC impliqueront également le maître d’œuvre et les sous-traitants dans le raccordement de l’installation au réseau.

Ainsi, alors que l’exploitant du réseau et la société de projet auront conclu un contrat de raccordement au réseau, cette dernière cherchera généralement à confier le suivi et la coordination des travaux de raccordement aux maîtres d’œuvre et différents sous-traitants. A cet égard, les cocontractants devront délimiter précisément leur champ d’intervention.

En France, l’idée d’injecter de l’hydrogène renouvelable dans le réseau de gaz public (« power-to-gas ») est exploré. Le projet H2V59 vise à créer une usine de production d’hydrogène vert sur un terrain du Grand Port Maritime de Dunkerque (GPMD), sur la commune de Loon-Plage. Ce projet d’usine de production d’hydrogène dans les Hauts-de-France, porté par H2V, et soutenu par Réseau de Transport d’Electricité (RTE) pour le raccordement électrique de l’usine au réseau électrique, a fait l’objet d’une concertation préalable avec les citoyens de la communauté urbaine de Dunkerque.

Dans le cadre des projets « power-to-gas », il est à prévoir que l'interconnexion des réseaux de gaz des Etats membres de l’Union Européenne engendre l’adoption de nouvelles réglementations. Les obligations à venir se répercuteraient alors sur les contrats de raccordement au réseau et sur les contrats EPC.

Si la plupart des risques inhérents aux projets d’hydrogène renouvelable seront vraisemblablement portés par les intervenants des projets dans un premier temps, ces derniers y trouveront des opportunités pour développer une expertise dans ce domaine et se positionner pour bénéficier de conditions plus favorables et équilibrées lorsque le marché sera arrivé à maturité.

L’accélération des investissements, les coopérations industrielles et les regroupements financiers à l’échelle européenne pourraient sans doute permettre aux acteurs de la filière de devancer les industries américaines et asiatiques sur le long terme et d’acquérir un avantage compétitif au niveau mondial.

Co-écrit par Léa Fournier, Pinsent Masons France.
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